Døgnvill est un mot norvégien intraduisible.
Il raconte ces moments où l’on ne peut plus distinguer le jour de la nuit, une métaphore de ces états de conscience flottants, quand on glisse vers un élargissement et que le temps disparait.
Dans un monastère en Norvège, sur l’île d’Halsnøy pendant un mois, je me suis laissé aller aux images qui jaillissent des pensées sans filtre, des rituels inventés, des jeux de hasard, des plongées dans la nature. Réalisant des photos sur le fil de la conscience, j’ai lâché toute attention formelle, avec une ouverture totale : mêlant noir et blanc, couleur, argentique, numérique, portraits, paysages, photos de jour comme de nuit, nettes, floues.
Des images naturelles, spontanées, sans filtre, en connectant le plus possible à cet espace non mental qui vibre avant les pensées. Mon approche a été expérimentale, ressemblant souvent à une photographie automatique, dans la veine de l’écriture des Surréalistes, pour créer des images qui émergent comme de possibles fragments de l’inconscient.
J’ai lu des livres à haute voix à des arbres, exploré la forêt la nuit, suivi des traces d’animaux, nagé dans l’eau froide, contemplé longuement l’heure bleue, suivi des inconnus en mer, fait peindre mon corps par des passants. J’ai imaginé, écrit des protocoles. J’ai mêlé méditation et photographie, seul ou avec des Norvégiens. J’ai écouté le monde invisible, le murmure des arbres. Dans un vertige, ma photographie est devenue une danse.
Un sentiment chamanique, envouté par des histoires de fantômes sur l’île. Et de moines violents qui rançonnaient les habitants pour les sauver de l’enfer ! Je me plaisais à imaginer la foudre qui fendit le tronc du plus vieux frêne de Norvège dans le jardin du monastère.
Le rouge résonne avec le Chemin Rouge des Amérindiens, un chemin initiatique, de vision, relié à la nature. Et de confrontation avec ses peurs.
Un jour, traçant les lignes de mes voyages sur une carte de l’île, la forme d’une comète est apparue. J’ai cherché la présence de l’astre dans mes photos, comme une sorte d’écho cosmique à mes expériences.
Puis j’ai expérimenté un ultime protocole à mon retour : découvrir les photos tout en m’embaumant de parfums holistiques – cet art qui vise à harmoniser le corps, l’âme, l’esprit par l’olfaction. Et les images se sont transformées en flèches émotionnelles, court-circuitant ma réflexion.
Un voyage sans psychotrope, pour ramener à la lumière des émotions profondes, des mémoires oubliées.
Série réalisée en résidence d’artiste, en Norvège, avec le Musée Sunnhordland
Vidéo de l’exposition aux Arches citoyennes, 9-11 février 2024


























